Musée des Tissus de Lyon
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?L’idée de créer à Lyon un musée dédié à la production textile, qui puisse servir de source d’inspiration aux dessinateurs de Fabrique, naît avec la Révolution. En 1797, le député du Rhône Étienne Mayeuvre de Champvieux présente au Conseil des Cinq-Cents un rapport qui suggère la création commune d’un musée et d’une école de dessin pour relever la Fabrique durement éprouvée. Camille Pernon lui-même, célèbre marchand-fabricant d’étoffes, fournisseur des cours d’Europe, du Premier Consul puis de l’Empereur, soutient cette idée au début du XIXe siècle.
En 1806 et en 1814, sur l’ordre du ministre de l’Intérieur, le Préfet du Rhône presse la Chambre de recueillir des échantillons des produits de l’industrie exécutés dans le département. La Chambre demande par ailleurs, le 2 juillet 1829, au ministre du Commerce et des Manufactures d’établir à Lyon une collection d’étoffes de soie, de coton, de laine et de châles provenant des manufactures étrangères. La Chambre réalise elle-même ce vœu en 1834 et en 1846 en organisant des expositions de soieries étrangères. Celle de 1846 montrait le matériel exceptionnel collecté en Chine par la première mission commerciale (1843-1846), et les pièces les plus exceptionnelles furent acquises par la Chambre.
En août 1848, elle faisait aussi l’achat de dessins et d’étoffes provenant de l’ancienne maison Dutillieu, conduite à la liquidation, puis, en 1850, du petit « musée de fabrique » d’Auguste Gautier. Plusieurs laizes de soierie lyonnaise ou étrangère furent également acquises à l’issue de l’Exposition universelle de Londres en 1851, et, le 6 avril 1854, une pétition signée par quatre-vingt-douze fabricants et dessinateurs la pressait d’acheter la collection exceptionnelle réunie par François Bert, professeur de théorie.
La Chambre était déjà riche, à cette date, d’un fonds remarquable constitué par les archives d’anciennes maisons, les chefs-d’œuvre anciens collectés par les industriels eux-mêmes ou les pièces les plus intéressantes de la production étrangère qui forment le noyau du musée actuel.
L’élément déclencheur pour la naissance du musée fut sans aucun doute l’Exposition universelle de Londres. Au début de l’année 1850, les fabricants lyonnais de soierie appelés à participer à ce premier événement mondial, voulu par le prince Albert, semblent manifester peu d’intérêt pour l’événement qui s’annonce. Les fabricants, sans doute, ne jugent guère utile de se confronter, outre-Manche, à la concurrence internationale. La Chambre de Commerce doit renouveler ses appels et envoyer un avis personnel aux principaux industriels « pour les engager à ne pas laisser supposer par l’absence de leurs produits à l’exposition de Londres qu’ils ont redouté une comparaison qu’il dépend, au contraire, d’eux de faire tourner à l’avantage de leur réputation et de leurs intérêts. » Trente-six fabricants sur les trois cents que compte alors la Fabrique lyonnaise participent à l’Exposition, parmi lesquels les maisons les plus importantes, Mathevon et Bouvard, Champagne et Rougier, Lemire ou Potton, Rambaud et Cie. La Chambre veille à ce que l’Exposition soit la plus complète possible, achète des étoffes aux fabricants qui refusent d’exposer et les présente sous son nom.
Lorsque la galerie lyonnaise inaugure, les commentateurs et les visiteurs ne tarissent pas d’éloges sur la qualité de la production. Pourtant, le jury de l’Exposition, qui reconnaît la beauté des pièces, n’attribue de grande médaille à aucun des exposants. Les fabricants lyonnais ne se contentent pas des médailles plus modestes, nombreuses, qu’ils reçoivent, et la médaille hors classe attribuée à la Chambre de Commerce pour ses collections ne les apaise pas. Lyon découvre à Londres les nouveaux producteurs et le marché qu’ils s’apprêtent à conquérir.
La réaction des fabricants lyonnais est immédiate. Parmi les actions consécutives à l’Exposition de Londres, on compte la réclamation, auprès de la Chambre, de la création d’un musée d’Art et d’Industrie, afin de renouveler la production, de stimuler la formation des professionnels et d’éduquer le goût des fabricants et du public. Trente-six des plus habiles fabricants, dessinateurs et artistes de Lyon signent une pétition adressée au Sénateur du Rhône pour demander qu’on commence à réunir les matériaux du futur musée.
Les fabricants ont assisté, à Londres, à la naissance du South Kensington Museum, ancêtre de l’actuel Victoria & Albert Museum. Le 24 janvier 1856, sur la proposition de son Président, la Chambre vote donc la création du musée. Natalis Rondot, délégué ordinaire de la Chambre à Paris, est envoyé en mission à Londres pour étudier le modèle du South Kensington Museum en 1856, puis François-Barthélémy Arlès-Dufour et Prosper Meynier, deux de ses membres éminents, et Jean-Claude Bonnefond, peintre et directeur de l’École impériale des Beaux-Arts de Lyon, en 1857.
Le rapport établi par Natalis Rondot sur le projet de création du musée, présenté à la Chambre pour le vote du 24 janvier 1856, indique : « Ainsi, en premier lieu, deux points sont acquis : l’utilité d’un musée d’Art et d’Industrie, et la nécessité de sa prompte création. Cette utilité n’est pas contestable, car ce musée deviendra une école nouvelle ; il ne sera pas isolé, il sera à Lyon le complément des institutions qui servent à former le goût et à développer les dispositions artistiques de la population. »
Le projet initial comprenait trois sections principales – le département de l’art, le département de l’industrie et le département historique – et le propos se voulait universel, concernant toutes les branches de l’industrie – terres cuites et moulages, bois et ivoires sculptés, serrurerie ancienne, orfèvrerie, bronzes, céramiques, verres, cuivres, dessins et, bien sûr, tissus, anciens et modernes. Le nouveau musée, intitulé musée d’Art et d’Industrie, ouvre ses portes le 6 mars 1864, au deuxième étage du Palais du Commerce, nouvellement érigé par René Dardel.
La politique d’enrichissement des collections est alors très active. La Chambre de Commerce acquiert en 1862 la totalité de la collection constituée par le dessinateur de fabrique Jules Reybaud, qui comprend des centaines de textiles anciens et modernes, des milliers de documents graphiques européens ou extrême-orientaux et de nombreux dessins de fabrique. En 1875, elle entre en possession d’une partie de la collection de textiles médiévaux du chanoine Franz Bock. Les dons des fabricants viennent compléter, au gré des Expositions universelles, les fonds déjà constitués. En 1889, par exemple, la soierie lyonnaise a été particulièrement saluée par le jury de l’Exposition de Paris. Les principales maisons offrent au musée les laizes les plus remarquables produites à cette occasion.
Édouard Aynard (1837-1913), Président de la Chambre de Commerce, est bien conscient que le propos du musée, très ambitieux, doit être restreint afin de constituer la plus importante collection de textiles du monde. Les collections d’Arts décoratifs ou d’Arts appliqués à l’Industrie sont en partie échangées avec d’autres institutions ou déposées dans les autres musées de la ville. Le 6 août 1891, le musée historique des Tissus est officiellement fondé. Il remplace l’ancien musée d’Art et d’Industrie. Il est inauguré la même année, dans un parcours totalement remanié, grâce à son conservateur, Antonin Terme.
La politique d’acquisition, concentrée sur les textiles et les matériaux de fabrique, redevient très dense, voire visionnaire. La Chambre de Commerce se laisse convaincre par Émile Guimet, par exemple, de financer les fouilles menées par Albert Gayet sur le site mythique d’Antinoé, en Moyenne Égypte, et dès 1898-1899, la plus importante collection de textiles de la fin de l’Antiquité, provenant des nécropoles de cette ville, rejoint le musée. Elle sera régulièrement enrichie jusqu’en 1908, grâce aux subventions que la Chambre concède pour la poursuite des fouilles. La fameuse Tenture aux poissons, extraordinaire tapisserie d’époque romaine, provient du financement de ces fouilles.
La prospection menée sur le territoire national par les conservateurs du musée, et notamment Raymond Cox, a également permis de collecter quelques pièces majeures de soieries orientales, provenant des trésors d’églises françaises. En 1904, par exemple, le musée acquiert le fameux suaire de saint Austremoine, provenant de Mozac, chef-d’œuvre du tissage byzantin, réalisé à Constantinople durant la crise iconoclaste, ou le suaire de saint Lazare, broderie islamique provenant du tombeau du saint dans la cathédrale d’Autun.
Des acquisitions remarquables sont réalisées auprès des plus fameux antiquaires, collectionneurs ou amateurs d’art ancien. Les donateurs, attirés par le prestige de la collection, concèdent des pièces uniques, comme le fameux pourpoint de Charles de Blois, donné par Julien Chappée en 1924.
Henri d’Hennezel, qui succède à Raymond Cox, tente de dresser un inventaire des collections. Il dénombre environ cinq cent cinquante deux mille pièces à la fin des années 1920. Son inventaire, conservé dans les archives du musée, est loin d’être exhaustif et il ne couvre pas l’ensemble des œuvres que possède à cette date l’institution.
En 1939, les collections sont évacuées au château de Chamousset, puis au château de Bagnols et enfin à la Bâtie-d’Urfé. En 1945, la Chambre décide qu’elles ne réintègreront pas le Palais du Commerce, mais qu’elles seront stockées et présentées dans l’hôtel de Villeroy. Le nouveau musée est inauguré en 1950. Il compte parmi ses donateurs les plus fameux Charles Arsène-Henry, pour l’art asiatique, chinois et japonais, Sonia Delaunay, avec ses productions de L’Atelier simultané, ou Jean Pozzi, pour l’art islamique.
Le musée reçoit des dépôts importants du Conseil des Prud’hommes de Lyon, qui confie ses registres au musée en 1974, ou de l’École municipale de tissage, en 1986, avec près de sept cents étoffes ou mises en carte.
La Société des Amis des musées, depuis 1984, contribue à l’acquisition de chefs-d’œuvre, comme la tunique égyptienne plissée du Moyen Empire, l’œuvre la plus ancienne de la collection, les portraits en velours quadruple corps ciselé de Napoléon Ier et de Napoléon III présentés par la maison Furnion père et fils aîné à l’Exposition universelle de 1855 et pour lesquels elle obtient une médaille d’honneur ou la fameuse tenture, commandée en 1730 pour le service du Roi et utilisée en 1785 pour la chambre de Louis XVI à Versailles. Elle contribue, en 1999, avec la Chambre de Commerce, le Conseil général du Rhône, le Conseil régional Rhône-Alpes, la Ville de Lyon, la Direction régionale des Affaires culturelles et le Fonds du patrimoine à l’acquisition des archives de la maison Bianchini-Férier, témoignant notamment de la collaboration de la maison avec l’artiste Raoul Dufy.
Aujourd’hui riche d’une collection de près de deux millions cinq cent mille œuvres, le fonds du musée des Tissus est une référence mondiale pour la conservation, l’étude et la connaissance du textile. Chaque année, des acquisitions continuent à être menées, à titre gratuit (dons) ou onéreux (achats), pour poursuivre le but exprimé dès la fondation de l’institution : conserver à Lyon la plus importante collection de textiles du monde afin que les meilleurs exemples du passé puissent renouveler la création de demain.
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Le musée des Tissus
de
Lyon
conserve aujourd'hui la plus importante collection de textiles du monde,
avec près de deux millions cinq cent mille pièces.
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