L 'Aures

 

L’Aurès

dans l’Antiquité

(Ph. Leveau)

Par Aurès, on entend le massif montagneux d’Algérie, qui se dresse au sud de Khenchela, Lambèse et Timgad entre les chotts du Constantinois et la dépression saharienne des Ziban. Cette zone de hautes terres forme un bouclier qui culmine à 2 328 m. Il est habité par un groupe berbérophone, les Chaouia. L’Aurès entre dans l’histoire – au sens stricte du terme – à la fin de l’Antiquité grâce au récit que, dans La Guerre Vandale, l’historien byzantin Procope donne de la révolte des tribus maures contre les Vandales qui s’en étaient assuré le contrôle 

Aurasius n’est pas attesté comme oronyme à l’époque romaine. Mais il apparaît aux second et troisième siècles comme cognomen, précisément dans la régionet  sous cette forme, et, à Lambèse, sous la formeAurassus  ainsi que comme agnomen à Lambèse encore sous la forme Auras-sius . Un Aurasius Toletanse ecclesiae pontifex Enfin une inscription de Caesarea de Maurétanie, datable peut-être du 1er siècle, donne comme nom Aurasigudula dans laquelle on pourrait reconnaître une Aurasi(a) Gudula(e) f(ilia).Cela paraît interdire d’identifier avec l’Aurès, YAudon nommé par Ptolémée  et qui paraît bien avoir été au sud de Lambèse . Par la suite, on reparle de l’Aurès à propos de la résistance qu’opposent aux conquérants arabes la Kahéna et les tribus berbères.

L’Aurès a-t-il été une zone de résistance à la pénétration romaine, un refuge où des populations indigène auraient attendu l’heure de la revanche ? L’occupation du massif dans l’antiquité est en réalité mal connue. Par transposition à l’Antiquité d’une réalité contemporaine, Ch. Courtois a voulu faire de l’Aurès un morceau de « l’Afrique oubliée », un bastion montagneux à l’écart de la romanisation que les conquérants romains auraient peu à peu investi. A l’époque flavienne, ils auraient commencé la mise en place d’un limes au nord du massif. Sous les Antonins, la domination romaine glisse vers la zone saharienne. En 100, Trajan installe une colonie militaire à Thamugadi assurant ainsi le contrôle des deux défilés de Foum Ksan-tina et Oued Taga et la surveillance des voies qui empruntent les vallées des oueds el Abiod et Abdi. Une inscription rupestre  marque le franchissement des gorges de Tighanimine. Le limes passe alors au sud de l’Aurès et une route stratégique relie Ad Majores et Ad Médias à Thabudeos. Le transfert de la IIIlégion Auguste à Lambèse complète le dispositif : « Aurès, Metlili, Hodna sont encerclés et isolés les uns des autres » L’encerclement militaire de l’Aurès aurait été mené en parallèle avec la limitation et la sédentarisation des Musulmanes.

 

Cette vision des choses est discutable et l’interprétation en terme stratégique de l’occupation de ces régions de Numidie est maintenant contestée. En fait il semble que l’organisation défensive de la plaine de Timgad soit attribuable à l’époque byzantine et non à l’époque romaine. Au Haut-Empire, l’état-major romain ne paraît pas avoir conçu de plan d’investissement des hautes terres, qui auraient constitué le bastion d’une résistance militaire. J.-M. Lassère insiste fortement sur l’importance de mouvements de transhumance ; ils amènent les Aurasiens à se déplacer de l’intérieur de leurs montagnes vers ses bordures où la présence sédentaire romaine est plus forte ; ils conduisent les nomades venus de Tougourt et de Biskra vers les plaines céréalières situées entre Guelma et Souk-Ahras en contournant l’Aurès comme l’actuelle ašaba. Par contre, au VIe siècle le danger vient de la montagne et on s’organise pour s’en défendre . Mais, même à cette époque, l’opposition n’est pas si forte que C. Courtois avait pu le croire à partir des données tirées d’une exploration insuffisante du massif.

A l’époque d’Antonin la présence d’une vexillation de la légion VI Ferrata venue de Syrie  et travaillant à la construction d’une route dans la vallée de l’oued el Abiod a été mise en rapport avec la révolte qui aurait embrasé l’Afrique sous cet Empereur ; mais il y a d’autres explications telles que le remplacement d’effectifs engagés en Césarienne  ou l’usage traditionnel d’unités militaires pour les grands travaux (cf. infra). Sous Commode un burgus speculatorius ) est édifié 6 km au sud deCalceus Herculis ; la défense est complétée sous Caracalla . J. Baradez en faisait un poste du fossatum Africae,. Mais il peut s’agir d’un simple poste de police contre les latrones dont l’existence n’a rien de surprenant tout autant que d’un élément d’un véritable dispositif militaire. Sous les Sévères en 197-198, une vexillation de la IIIe légion Auguste laisse à Menaa une inscription où elle se dit morans in procintu, c’est-à-dire en état d’alerte, sans que l’on puisse dire s’il s’agit de troubles qui seraient la « confirmation de cette solidarité entre montagnards et nomades que les Romains voulaient briser autant que possible »  ou de la simple surveillance d’une voie de transhumance. De même l’utilisation de la main d’œuvre militaire dans les travaux agricoles pour la moisson (morantes ad fenum seclandum, CIL VIII 4322 = 18527) ne signifie pas forcément qu’il ait fallu protéger les paysans

D’une manière générale les documents épigraphiques qui ont été mis en rapport avec d’éventuels tumultes maures concerneraient en réalité de simples opérations de police ou de contrôle de déplacements saisonniers. L’administration romaine utilisait traditionnellement la main d’œuvre militaire dans les grands travaux du génie que nous appelons maintenant « civil ». Tel est le cas pour les travaux de voiries, les ouvrages d’hydraulique urbaine (les aqueducs) et rurale (drainages en particulier), les aménagements de voies d’eau ou les constructions de canaux (fossae). Les interprétations proposées par J. Carcopino et S. Gsell avaient été systématisées par J. Baradez ; quelques auteurs continuent à les défendre .

Il serait tout aussi erroné de croire que les Romains auraient mis en culture une zone vide en y introduisant leurs techniques agricoles. L’Aurès était vraisemblablement habité par une population sédentaire détentrice d’un savoir dans le domaine des techniques hydrauliques. 

 Le massif n’en était pas pour autant fermé à l’influence romaine. Les explorations conduites ont montré que cette idée était à revoir. En fait les vides de l’Atlas Archéologique correspondent plutôt à une absence d’exploration .

Le passé préromain est encore plus mal connu que la période romaine.  la famille du constructeur du Medracen aux ive-iiiesiècles était originaire de l’Aurès qui aurait été le berceau de la dynastie massyle. Comme l’a souligné G. Camps, les hypothèses qui ont été formulées à partir de données linguistiques sont aventureuses : en rapprochant le nom des Maures et Aurès (cela expliquerait la sifflante qui apparaît dans le nom grec de Maurousioi), on a voulu situer non au Maroc mais dans l’Aurès le royaume maure de Bocchus, le contemporain de Jugurtha .

On considère en général que l’Aurès n’a pas été urbanisé ; l’urbanisation à la romaine avec l’accession au statut municipal n’a concerné que les agglomérations du piémont : Lambèse accède au statut municipal sous les derniers Antonins ; Gemellae obtient un statut analogue à la même époque. S’y mêlent une population de vétérans et d’indigènes. Récemment P. Morizot a montré qu’à Menaa existait une agglomération du nom de Tfilzi ( ?) et qu’elle était dotée d’institutions politiques avec des magistri ; il signale l’existence de vestiges archéologiques d’autres agglomérations antiques importantes (Le génie Auguste de Tfilzi ; Nouveaux témoignages de la présence romaine dans l’Aurès,Bull. . A propos des vestiges de la zaouia des Beni Barbar, dans le djebel Cherchar entre Aurès et Nemencha, il envisage la possibilité qu’ait existé à cet endroit un municipe latin ; on y connaissait le mausolée familial d’un Pinarius Processianus dec(urio) mun(ici-pii) Bad(iensis)ainsi qu’une inscription honorifique dédiée en 195 par un C. Servilius Macedodec(urio) municipi Gemel(lae). En fait ces textes entrent dans les séries documentaires montrant la présence d’aristocraties municipales dans le monde rural. La recherche n’a pas été faite spécialement pour l’Afrique ; mais, à partir d’une enquête épigraphique poursuivie en Narbonnaise et Cisalpine, P.A. Février a montré qu’il était possible de repérer la présence de magistrats municipaux sur le territoire rural des cités ; il s’agit d’un fait de culture : « dans le vécu d’un magistrat ou d’un sévir, charges à la ville et séjour rural sont les deux faces d’une même réalité » . Aussi, dans l’état actuel de la documentation épigraphique, est-il difficile de s’aventurer au-delà et d’en tirer des conclusions sur le statut juridique des collectivités de l’Aurès.. 

. En fait l’image que l’on a de l’occupation antique de l’Aurès n’est pas seulement déformée par les lacunes de l’Atlas Archéologique de l’Algérie,publication ancienne et d’utilisation délicate, elle souffre aussi de l’état des connaissances sur les céramiques antiques et de leur prise en compte. Nos connaissances sur l’occupation sur sol dans d’autres régions de l’Empire sont renouvelées par des prospections systématiques assorties de ramassages de surface.

 

L 'Antiquité

 

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