Valerius Messalla

 

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Marcus Valerius

Messalla Corvinus 

 

Orateur romain, suivit d'abord le parti de Brutus, et fut proscrit par les triumvirs l'an 43 av. J.-C. Mais après la bataille de Philippes, voyant le parti républicain anéanti, il s'attacha à Octave, qui l'éleva au consulat (31 av. J.-C.), le chargea de réduire l'Aquitaine (27) et le créa préfet de Rome (26). Il mourut à 70 ans (11 après J.-C.) : il avait perdu la mémoire depuis 2 ans. Messala cultivait les lettres ; il fut le Mécène de Tibulle.

Il fut le père de Marcus Valerius Messalla Messallinus, consul en 3 av. J.-C.

 

MARCUS VALERIUS MESSALA CORVINUS

PAR

VICTOR CUCHEVAL

Marcus Valerius Messalla Corvinus, le rival d’Asinius Pollion en éloquence, fut comme lui un honnête homme. Tacite les associe tous deux dans le même éloge par une de ces expressions concises qu’il affectionne. Sous le règne de Claude, le consul Silius demandait au sénat de faire exécuter la loi Cincia qui défendait à tout citoyen de recevoir, pour plaider une cause, de l’argent ou des présents. L’orateur engageait les avocats à se souvenir d’Asinius Pollion, de Messala, et, à une époque plus récente, d’Arruntius et d’Æserninus, qui tous étaient arrivés au faite des honneurs par une vie et une éloquence incorruptibles, incorrupta fama et facundia (Tacite, Annales, XI, 6.).

Messala appartenait à l’une, des plus illustres familles de Rome, et, comme son nom de Corvinus l’indique, descendait de ce Valerius Corvus, si célèbre par son combat contre un Gaulois, où, suivant la légende, un corbeau l’aida à triompher de son terrible adversaire. Il était un peu plus jeune que Pollion. Mais la Chronique d’Eusèbe le fait naître, à tort, l’an 60 avant notre ère, en confondant le consulat de Q. Cæcilius Metellus Creticus avec celui de Q. Cæcilius Metellus Celer qui eut lieu dix ans plus tôt. Sa naissance doit être reportée à l’année 70. Un fait le prouve. Quintilien cite à plusieurs reprises le procès d’Aufidia, accusée par Messala et défendue par Servius Sulpicius. Comme celui-ci est mort en 44, il en résulterait que Messala aurait plaidé, à seize ans, une cause de cette importance, ce qui est inadmissible.

Au mois de juillet de l’année 44, Brutus était en Macédoine où il préparait la guerre civile. Messala, âgé de vingt-six ans, alla l’y rejoindre, avec une lettre de recommandation de Cicéron. « Je t’envoie Messala, disait celui-ci. Quelle lettre, si minutieuse qu’elle fût, te ferait mieux connaître que lui l’état de la République ? Il sait les affaires exactement, et il peut t’en faire un rapport élégant et fidèle. Ne va pas croire, Brutus (car s’il n’est pas nécessaire que je t’écrive ce que tu connais, je ne puis pas cependant passer sous silence un mérite si supérieur), ne va pas croire que rien puisse égaler sa probité, sa fermeté, sa vigilance, son amour pour la République. Son éloquence, qui est admirable, parait à peine mériter place dans son éloge. Elle témoigne encore de sa sagesse. Son goût si sûr l’a engagé à s’exercer avec le plus de soin dans le véritable genre oratoire. Tel est son zèle, telle est son ardeur à l’étude qu’il semble ne rien devoir à son heureux génie. Mais l’amitié m’entraîne. Ma lettre n’a pas pour but de faire l’éloge de Messala, surtout à Brutus, qui tonnait aussi bien que moi son mérite, et mieux que moi ses goûts que je loue. Son départ m’a chagriné, mais je me console par la pensée qu’en se rendant auprès d’un autre moi-même, il remplit son devoir, et suit le parti le plus honorable. » (Cicéron, Lettres à Brutus, 15.)

Pendant toute sa vie, qui fut longue, Messala resta digne de cet éloge. Des savants l’ont trouvé excessif, et ont voulu voir, dans cette lettre, une interpolation qu’une main amie de Messala y aurait introduite. Il est impossible à des modernes de décider ces questions, et de discerner entre ces phrases si bien agencées, celles qui appartiennent à Cicéron, et celles qui lui seraient faussement attribuées. D’ailleurs, le nom de Messala se retrouve encore deux fois dans la correspondance de Cicéron avec Atticus (Cicéron, Lettres à Atticus, XII, 32 ; XV, 17. ), à une date antérieure à la lettre de Cicéron à Brutus. La première lettre du mois de mars 46 mentionne le départ de Messala pour Athènes, où il allait terminer ses études ; dans la seconde, datée du mois de juin de l’année suivante, Cicéron se réjouit, des bonnes nouvelles que Messala, en revenant d’Athènes, lui a données sur son fils qui y poursuivait ses études avec succès. On doit donc tenir pour authentique la lettre adressée à Brutus, quitte à y voir un peu de cette complaisance que les grands orateurs ont coutume, de tout temps, d’accorder à un jeune confrère qui montre du mérite.

Messala s’attacha à la cause de Brutus, et fut, pour cette raison, compris par Antoine dans les listes de proscriptions dressées par les Triumvirs, après la guerre de Modène (Dion Cassius, XLVIII ; Appien, Guerres civiles, IV, 28.). Il était, heureusement, hors de leurs atteintes, et se trouvait dans l’armée de Cassius. Il prit part, à ses côtés, à la bataille de Philippes où il commandait une légion. Il vit de près les événements, et les raconta ensuite dans des Mémoires, dont nous reparlerons plus loin, et auxquels Plutarque a fait de nombreux emprunts. Les derniers partisans de Brutus et, de Cassius voulaient prolonger la résistance, et sollicitaient Messala de se placer à leur tète. Celui-ci comprit que la lutte était désormais impossible. Il fit sa soumission à Octave qui accueillit le jeune homme avec empressement et le combla de marques d’amitié. Il l’éleva même presque aussitôt à la dignité d’augure (Velleius Paterculus, II, 71 ; Dion Cassius, XLIX.). L’inclination de Messala le portait plutôt du côté d’Antoine, avec lequel il s’était réconcilié ; mais il s’en détacha complètement lorsqu’il le vit compromettre le nom et la dignité de Romain par son fol amour pour Cléopâtre. Cette rupture est probablement postérieure à la paix de Brindes et dut avoir lieu vers l’année 32. Antoine, irrité de cette désertion, s’en plaignit au sénat. Messala prononça un discours pour se disculper. C’est, sans doute, à cette occasion, qu’il reprocha à Antoine « d’employer des vases d’or pour les besoins les plus sales. » (Charisius, I, p. 103, Pline, Hist. nat., XXVIII, 10.). En récompense, il obtint d’Octave d’être associé avec lui au consulat, à la place d’Antoine, à qui le sénat complaisant décida de l’enlever. C’était le signal de la guerre qui devait se terminer à Actium.

Après la lutte, Octave rendit de vives actions de grâces à Messala pour le concours qu’il lui avait prêté. Messala s’excusa avec modestie, et faisant allusion à la bataille de Philippes où il soutenait la cause de Brutus et de Cassius, lui répondit, non sans noblesse, « qu’il avait toujours été du parti le meilleur et le plus juste. » (Plutarque, Brutus, 53.). Sa conduite en Égypte lui fait moins d’honneur. Antoine, trahi de tous, ne rencontra de fidélité que dans sa troupe de gladiateurs. Ils firent une résistance désespérée et inutile. Un petit nombre seulement se rendirent sur la parole du lieutenant d’Octave, Didius, qui leur promit la vie sauve. Messala survint après, et, malgré la promesse de Didius, les fit égorger sans pitié (Dion Cassius, LI. ). Ce trait fait tache dans sa vie. De retour à Rome, il prononça au sénat un discours Sur les statues d’Antoine (Charisius, I, p. 80.). Était-ce pour demander qu’elles fussent maintenues ou renversées ? Les honneurs qu’il reçut d’Octave rendent plus probable la seconde supposition. L’année suivante, il fut nommé proconsul de Syrie, et partit pour son gouvernement, en emmenant arec lui le poète Tibulle qu’il protégeait. Mais Tibulle tomba malade en route, et ne put qu’adresser de loin, à ses joyeux compagnons, ses regrets sur sa maladie et ses vœux pour leur heureux voyage. C'est à cette circonstance que l’on doit la IIIe élégie si gracieuse, du premier livre de Tibulle.

L’an 28, on retrouve Messala en Aquitaine, occupé à livrer de rudes combats aux populations soulevées de cette contrée. Le complaisant Tibulle célèbre maintenant les talents militaires de son bienfaiteur et les succès qu’il remporte (Tibulle, Élégie IV, 1.). Mais il chante surtout le triomphe que Messala obtint de la faveur d’Auguste, le septième jour avant les calendes d’octobre de la même année. « Ce jour, dit-il, a été chanté par les Parques qui filent la trame des destins, trame qu’aucun dieu ne peut briser. Cet enfant, ont-elles dit, mettra en fuite les nations de l’Aquitaine, et devant lui tremblera l’Atax, vaincu par ses courageux soldats. L’oracle s’est vérifié. La jeunesse romaine a vu de nouveaux triomphes et des chefs prisonniers, les mains chargées de chaînes. Et toi, Messala, le front ceint des lauriers de la victoire, un char d’ivoire te portait, traîné par de blancs coursiers, J’assistais aux honneurs qui te furent rendus. Tarbelle, au pied des Pyrénées, les rivages de l’océan Santonique, ont vu tes exploits. Ils ont eu encore pour témoins l’Arar, le Rhône rapide, la large Garonne, et les eaux bleues de la Loire qui arrosent le pays du blond Carnute. » (Tibulle, Élégie I, 7.).

Auguste ne se borna pas à accorder à Messala les honneurs du triomphe. Pour récompenser des services qu’on pourrait accuser le poète d’avoir exagérés, et en même temps, pour rester fidèle au plan qui lui faisait relever les images de tous les grands hommes de la République, il érigea, sur le forum, au héros de la famille, à Valerius Corvinus, une statue dont le casque portait le corbeau légendaire (Aulu-Gelle, IX, 11.). L’année suivante ou deux ans après, en 27 ou 26, il établit la préfecture de la ville « dans le but, dit Tacite, de contenir les esclaves et cette partie du peuple dont l’esprit remuant et audacieux ne connaît de frein que la crainte. » Il confia cette charge à Messala. Ce fut l’apogée et en même temps l’écueil de sa fortune. En effet, cette magistrature lui fut bientôt retirée comme étant au-dessus de ses forces, quasi nescius exercendi (Annales, VI, 11.). Tacite ne fait-il pas erreur ? Le mérite déployé par Messala en tant de circonstances permet de le croire. La Chronique d’Eusèbe donne une autre interprétation. Messala, à ce qu’elle rapporte, « se démit, au bout de six jours, de la préfecture de la ville, parce que ces fonctions étaient incompatibles avec la liberté des citoyens. » Cette explication est plus honorable pour Messala, et peut-être plus vraie.

Messala renonça dès lors aux charges publiques. Il rentra dans la vie privée, et reprit ses travaux oratoires au sénat et sur le forum. Nous avons vu deux circonstances où il parla au sénat : l’une en réponse à la lettre d’Antoine, l’autre au sujet des Statues d’Antoine. Il est probable que, dans la suite, il fut au sénat un des orateurs les plus écoutés, puisque le jour où cette assemblée décerna à Auguste le titre de Père de la Patrie, ce fut Messala qui lut au prince, et qui rédigea par conséquent le sénatus-consulte.

Bien que Messala ait beaucoup plaidé au forum, on ignore les causes qu’il soutint, sauf un discours éloquent pour Pythodorus, et l’accusation contre Aufidia, citée plus haut, où il eut Servius Sulpicius pour adversaire. En revanche, plusieurs jugements portés sur son éloquence peuvent aider à en connaître les caractères. Sénèque le Père lui attribue un esprit cultivé dans tous les genres de littérature et un souci scrupuleux de la bonne latinité. Il donne, comme preuve à l’appui, un jugement de Messala sur une déclamation du rhéteur Latro. « Oui, il est éloquent, mais dans sa langue, dit Messala, louant le talent de Latro tout en blâmant son style. » (Sénèque le Père, Controverses, II, 12.). Tacite, dans leDialogue des orateurs, accorde à Messala le même éloge : « Cicéron, dit-il, est plus varié, plus fin, plus élevé que Caïus Gracchus et Crassus ; Messala est plus doux, plus gracieux, plus soigné dans le choix des mots que Cicéron. » (Dialogue des orateurs, 20.). Quintilien s’exprime à peu près de la même façon : « Messala est brillant et pur ; la noblesse de sa race éclate, pour ainsi dire, dans son éloquence : mais il a moins de force qu’Asinius Pollion. » (Quintilien, X, 1, 113.).

Si l’on rapproche ces jugements, l’on peut en conclure que Messala se préoccupait surtout de la forme, et portait à un haut degré le soin et l’amour des détails. Son éloquence semble manquer de souffle, et remplacer l’inspiration par (les phrases artistement composées, par l’élégance de la diction et les raffinements du style. A force de manier et de travailler sa langue., il était parvenu à faire passer dans une traduction latine, toute la finesse, la grâce, la délicatesse du discours d’Hypéride pour Phryné, « véritable tour de force pour un Romain », ajoute Quintilien (Quintilien, X, 2, 5.). La vigueur, cependant, ne lui faisait pas défaut à l’occasion, témoin le discours dont parle Pline et qu’il qualifie d’indignatio, où Messala s’emporta contre l’introduction dans les images de sa famille, de celles des Levinus. (Pline, Hist. nat., XXXV, 2.). Tibulle, de même, tout en restant dans la généralité du panégyrique, nous montre Messala, soit à la tribune, soit au barreau, alliant la fermeté à la douceur, et sachant dompter les frémissements de la foule passionnée, aussi bien qu’adoucir la colère et les mauvaises dispositions du juge. (Tibulle, IV, Élégie I, 38.).

Messala avait l’habitude de commencer ses exordes par se plaindre de sa santé, et par se déclarer incapable de lutter contre le talent de ses adversaires. Quintilien n’est pas loin d’approuver cette précaution oratoire. Aper n’est pas du même avis dans le Dialogue des orateurs. Il s’emporte contre ce qu’il appelle l’inexpérience des temps anciens. « Qui pourrait aujourd’hui, s’écrie-t-il, supporter un orateur excusant dans son début la faiblesse de sa santé ! Or tels sont presque tous les exordes de Messala Corvinus » (Quintilien, IV, 1 ; Dialogue des orateurs, 20.). Cependant Aper n’est pas trop défavorable à Messala. « Je ne veux pas, dit-il, attaquer Corvinus. Il n’a pas dépendu de lui qu’il ne déployât la richesse et l’éclat de l’éloquence moderne. C’est à nous de voir jusqu’à quel point la chaleur de son âme ou la puissance de son esprit ont secondé son jugement » (Quintilien, IV, 1 ; Dialogue des orateurs, 21.). Aper a tort de le réclamer comme un des fondateurs de la nouvelle éloquence. C’est à Cassius Severus qu’il faut laisser cet honneur. Quoi qu’il dise, Messala est encore un disciple de Cicéron. Peut-être Aper pensait-il à la prédilection que Tibère avait montrée dans sa jeunesse pour l’éloquence de Corvinus. Seulement l’obscurité du style de l’empereur rappelait peu l’élégance et la clarté de Messala (Suétone, Tibère, 10.).

De même qu’Asinius Pollion, Messala fréquenta les écoles des rhéteurs, assista à leurs déclamations, et leur ouvrit même sa maison. Sénèque le Père rapporte de lui quelques observations et quelques jugements qui font honneur à son bon sens et à son goût. Nous avons cité un peu plus haut le mot piquant qu’il avait appliqué à Latro. A propos d’un passage de Virgile, il se trouvait en désaccord avec Mécène. Voici le passage : « Tout le temps que dura la résistance de Troie, c’est le bras d’Hector, c’est celui d’Énée qui arrêtèrent la victoire des Grecs et la firent reculer jusqu’à la dixième année. »

Quidquid apud duræ cessalum est mœnia Trojæ, 
Hectoris Æneæque manu victoria Graium 
Hæsit — et in decimum vestigia rettulit annum.

Messala prétendait que Virgile aurait mieux fait de s’arrêter après le mot hæsit, et blâmait comme faisant longueur le dernier hémistiche. Mécène, au contraire, approuvait Virgile et admirait autant la fin du vers que le reste du passage (Sénèque, Suasoriæ, 2, 19 ; Virgile, XI, 288.). Le jugement de Messala est un peu sévère, mais il ne manque pas de justesse.

Cet exemple et d’autres cités dans le chapitre sur Mécène, montrent qu’à peine mort, Virgile fut traité en ancien par ses contemporains, et que ses œuvres furent étudiées avec le soin le plus minutieux. Quelquefois même, ce scrupule religieux prenait des formes plaisantes. On peut en juger d’après cette anecdote racontée par Sénèque, qui a peu de rapport avec Messala, mais où il dit son mot : Le rhéteur Fuscus insérait dans ses déclamations des imitations de Virgile pour plaire à Mécène. Il plaça une fois, avec assez d’à-propos, l’expression plena deo. Gallio l’avait recueillie, et s’était promis de ne pas la laisser perdre. Il sortait un jour, d’une déclamation de Nicétès qui, par sa verve, avait beaucoup plu aux rhéteurs grecs, et il alla voir Messala. Que penses-tu de Nicétès ? lui demanda Messala. — Plena deo, répondit Gallio. Aussi, toutes les fois qu’il venait entendre un de ces déclamateurs que les habitués des écoles appelaient caldos, Messala ne manquait pas de le questionner ainsi : Numquid plena deo ? L’expression était devenue si familière à Gallio qu’il s’en servait sans y penser. Un jour, Auguste lui parlant d’Haterius, Gallio répondit par habitude : Ille erit plena deo. Auguste ne comprit pas ; et il fallut que Gallio lui racontât comment, ayant fait un jour cette réponse à Messala, il la faisait maintenant en toute occasion. Gallio raconta l’anecdote à son ami Ovide qui trouva l’expression bonne à prendre et plaça l’hémistiche dans sa Médée : feror huc illuc ut plena deo (Sénèque, Suasoriæ, 3, 6 ; Lucain a dit aussi, IX, 564 : Ille deo plenus.).

Dans sa Satire X, contre Lucilius, Horace, entre autres griefs, reproche à son devancier d’avoir mêlé des mots de grec aux mots latins. Il blâme eu même temps ceux ses contemporains qui donnent dans le même travers. Ce mélange dés deux langues était devenu fort à la mode. On parlait couramment le grec, on le citait dans la conversation, dans sa correspondance ; de là, il n’y avait pas loin à l’introduire dans les écrits plus sérieux. Horace oppose à ces néo-grecs l’exemple de Messala et de son frère Pedius « qui surent plaider en latin, au lieu d’intercaler dans leur style des mots étrangers, à la façon du Canusien aux deux langues » (Horace, I, Satires, X, 25.). Le vieux scholiaste d’Horace, publié au XVIe siècle par Cruquius, rapporte, en commentant ces vers, que Messala et son frère Pedius avaient tant d’aversion pour le mélange du grec et du latin que, pour ne pas prononcer le mot schœnobates, Messala se servit du mot funambulus emprunté au prologue de l’Hecyre de Térence. A l’autorité de Messala, de Pollion et d’Horace ; les partisans du style bigarré opposaient l’exemple de Cicéron. Cependant Cicéron ne parle guère grec que dans ses lettres à Atticus, et pour déjouer l’infidélité des messagers. Les mots grecs qu’il emploie sont la plupart du temps des citations plaisantes, ou des parodies de passages bien connus d’Atticus et de lui. Nulle part, on ne trouve cet amalgame de grec et de latin qu’on rencontre dans les lettres d’Auguste.

Protecteur de Tibulle, Messala fut aussi un ami d’Horace. Il recevait le poète et venait parfois souper chez lui. Dans une de ses plus jolies odes, Horace s’adresse à son amphore, et l’invite à verser à Corvinus un vin amolli par les années. « Ne crains pas, ajoute le poète, tout imbu qu’il est des entretiens de Socrate, qu’il te repousse d’un air farouche. Le vin, dit-on, échauffa la vertu même du vieux Caton » (Horace, Odes, III, 21.). Ce passage, en nous révélant les rapports des deux amis, semble indiquer en outre que Messala n’était pas étranger à la philosophie. Un vers de l’Art poétique vante encore son éloquence, et le donne comme un des premiers orateurs de Rome (Horace, Art poétique, 371.). Ces éloges sont la monnaie dont le poète payait l’amitié du grand personnage. Ovide aussi se rappelle, dans ses Pontiques, l’amitié de Messala, et écrit au fils de celui-ci : « Ton père n’a pas renié notre amitié : il encourageait mes études, les provoquait, enflammait mon ardeur » (Ovide, Pontiques, I, 7, 27.).

Une lettre de Pline le Jeune, déjà citée à propos d’Asinius Pollion, donne une des raisons pour lesquelles Messala aimait et recherchait les poètes. C’est qu’il faisait aussi des vers, et même des vers assez libres, puisque Pline le Jeune le range au nombre des graves personnages qui n’ont pas dédaigné ce délassement, et dont il donne une liste fort curieuse ( Pline le Jeune, Lettres, V, 3. ). Messala devait en avoir fait d’autres, si l’on s’en rapporte à l’auteur de l’Élégie à Valerius Messala, placée parmi les petits poèmes de Virgile. Le poète célèbre les talents militaires de Messala, son mariage avec Sulpicia, soit éloquence, et aussi les poésies grecques qu’il a composées. Il emploie cependant, à ce propos, une comparaison singulière. Il dit de ces poésies qu’« elles méritent de l’emporter sur le vieillard de Pylos ». Que vient faire ici le verbeux Nestor ? Le rapprochement n’est pas flatteur pour Messala. Aussi l’on sourit de voir l’auteur anonyme prétendre, avec exagération, qu’il bornera ses efforts à égaler la muse de son héros. Cette pièce ne révèle aucun fait nouveau. Elle prouve seulement, ainsi que la dédicace du Ciris à Messala, que le grand orateur aimait, recherchait et favorisait les poètes.

Le dictateur César, en se rendant d’Italie en Gaule par les Alpes, s’était amusé à composer un traité sur l’Analogie dont il n’est presque rien resté. A son exemple, Messala avait travaillé sur l’alphabet, ou du moins sur la lettre S. Quintilien le dit expressément : « Caton le Censeur, dit-il, n’écrivait jamais dicamfaciam, mais dicem et faciem ; et il terminait ainsi tous les futurs de la même conjugaison. On peut s’en convaincre par les anciens livres qui nous restent de lui, et par le témoignage de Messala dans son Traité sur la lettre S » (Quintilien, I, 7.). Il ne nous en est rien parvenu, non plus que de l’ouvrage composé dans sa vieillesse Sur les familles. Pline se contente de raconter à quel propos il le composa. Traversant l’atrium de Scipion Pomponianus, il vit que, grâce à une adoption testamentaire, les Salutions (tel était le surnom) s’étaient, à la honte des Africains, accolés au nom des Scipions (Pline, Hist. nat., XXXV, 2.). Messala était très fier de l’illustration de sa race, à en juger par l’objet de cet ouvrage, et par son invective contre les Levinus que nous avons rappelée plus haut.

Mais l’œuvre de prose la plus considérable de Messala est l’histoire ou plutôt les Mémoires qu’il composa. Ils roulaient sur les événements de la guerre civile. Ils sont cités par Suétone. Ce dernier rapporte, d’après eux, qu’Auguste n’admit jamais d’affranchis à sa table, sauf Mena, et encore après lui avoir conféré l’ingénuité, pour lui avoir livré la flotte de Sextus Pompée (Suétone, Auguste, 74.). Mentionnés par Tacite (Tacite, Annales, IV, 34.), ces Mémoires ont surtout servi à Plutarque dans le récit de la bataille de Philippes. Le biographe grec avait eu recours à divers documents contemporains pour raconter la dernière lutte qui anéantit la liberté de Rome. Les Mémoires d’Auguste rapportaient ce qui s’était passé dans son camp et dans celui d’Antoine. Ceux du philosophe Publius Volumnius, ami de Brutus, concernaient plutôt les derniers moments de Brutus. Ceux de Messala, qui commandait une légion dans l’armée de Cassius, roulaient sur les évènements militaires qui avaient précédé et suivi la mort de Cassius. Certains détails, rapportés par Plutarque, semblent traduits textuellement des Mémoires de Messala. Cassius, dit-il, à ce que raconte Messala, soupa dans sa tente avec quelques amis, et, contre son naturel, il fut, pendant tout le repas, pensif et taciturne. Après le souper, il prit la main de Messala, et la lui serrant, affectueusement, selon son habitude : « Messala, lui dit-il en grec, je te prends à témoin que, comme le grand Pompée, je suis forcé, malgré moi, de livrer le sort de ma patrie au hasard d’une seule bataille. Ayons pourtant bon courage et confiance dans la fortune. Il serait injuste de nous en défier, quand même nous prendrions un mauvais parti. En achevant ces mots, Cassius embrassa Messala et lui dit adieu. Messala le pria à souper pour le lendemain, jour de sa naissance » (Plutarque, Brutus, 40.).

Plutarque emprunte encore aux Mémoires de Messala le récit de la première bataille. « Messala, dit-il, donne comme preuve de la victoire de Brutus, que son parti prit trois aigles et plusieurs enseignes aux ennemis, tandis que ceux-ci n’en prirent pas une » (Plutarque, Brutus, 42.). Messala évaluait à 8000 hommes, y compris les valets d’armée, les pertes de Brutus, et portait au double celles d’Octave et d’Antoine (Plutarque, Brutus, 45.). Il racontait aussi les derniers moments de Brutus, mais Plutarque semble plutôt avoir suivi sur ce point les mémoires de Volumnius qui n’avait pas quitté d’un instant l’infortuné général. Cependant Volumnius prétendait que Brutus avait appuyé son épée contre terre et s’était ensuite précipité dessus. Selon Messala, Straton, le maître d’éloquence de Brutus, cédant à ses instances, avait tenu l’épée contre laquelle Brutus s’était jeté. Messala était probablement dans le vrai. En tout cas, Straton ne le démentit pas, le jour où Messala, le présenta à Auguste en lui disant, les larmes aux yeux : « Voilà, César, celui qui a rendu à mon cher Brutus le dernier service » (Plutarque, Vie de Brutus, 53.).

Messala, qui se piquait d’impartialité, n’avait pas hésité à blâmer les fautes commises par Brutus. Après la mort de Cassius, Brutus voulant exciter ses soldats à reprendre la lutte, leur donna à chacun une gratification de deux mille drachmes, et eut la faiblesse de leur promettre le pillage de Thessalonique et de Lacédémone. Plutarque, en rapportant ce fait, condamne la conduite de Brutus avec une vivacité qui doit être un souvenir des Mémoires de Messala.

Les deux dernières années de la vie de Messala furent malheureuses. Il perdit la connaissance et la mémoire, et mourut volontairement de faim à l’âge de soixante-douze ans, laissant la réputation d’un honnête homme, et d’un des plus brillants orateurs de l’école antique (On place l’an 2 ou l’an 12 de notre ère, la date de la mort de Messala suivant la date que l’on adopte pour sa naissance.).

L 'Antiquité

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