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La mystérieuse mort de Raspoutine

 

 

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Ajourd'hui 

le 

Tribunal de l'histoire

 

ouvre

le dossier 

de la mort mystérieuse de Raspoutine

 

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Vidéo pour "youtube raspoutine"https://www.youtube.com/watch?v=dT5dzrUf8z8

 

Depuis la tentative de meurtre, Iliodore, membre des Cent-Noirs, une organisation ultranationaliste, a rasé sa barbe, et, déguisé en femme, il a gagné la Suède. Renaître d'entre les morts, transformer un homme en femme:

l'année 1914 a donc vu ces deux nouveaux miracles de Raspoutine, l'éminence noire du dernier tsar, Nicolas II, et de la tsarine Alexandra. Raspoutine, saint homme? Superstar? Fakir libidineux? Espion allemand? Ou symptôme du pourrissement de l'autocratie russe?

 

Le Dossier Raspoutine s'ouvre sur ces questions réstées sans réponses

 

C'est par ses dons de guérisseur que Grigori Iefimovitch Novykh dit Raspoutine (1869-1916), fils d'un paysan et voiturier, a su s'attacher le couple impérial. Ne dit-on pas que le tsar porte au doigt, en anneau, une boucle de cheveux de cet homme-toison, ce long moujik hirsute, analphabète à la syntaxe embroussaillée, aux dehors aussi magnétiques que chevelus? Raspoutine, mystique Wolverine, homme pileux, homme de Dieu, homme des gueux, pèlerin crasseux et magnifique venu des confins de la Sibérie.

 

Si les uns l’accusaient de tous les péchés mortels, les autres le vénéraient comme un saint. La vie du simple paysan devenu ami de la famille du dernier tsar russe Nicolas Romanov, recèle un bon nombre d’énigmes. On ignore jusqu’à la date de sa naissance, sa biographie avant la période saint-pétersbourgeoise est émaillée de « taches blanches » et des légendes circulent toujours sur sa mort atroce.

Le futur favori du tsar vit le jour au village sibérien de Pokrovskoïe. Les villageois se souvenaient que dans sa jeunesse, Grigori leur donnait du fil à retordre : c’était un ivrogne doublé de bagarreur et de voleur. A la suite d’un vol, les paysans battirent quasiment à mort ce garçon égaré et à partir de ce moment, Raspoutine changea complètement : il devint religieux et fit des pèlerinages à pied dans des monastères situés à des milliers de kilomètres de son village natal.

On disait même qu’il avait acquis le don de prophétie. On se demande si c’était vrai ou si Raspoutine était simplement un bon comédien mais les rumeurs sur l’étonnant « starets » Grigori finirent par atteindre Pétersbourg, capitale de l’empire.

En 1904, Raspoutine commença à être reçu par les aristocrates de la capitale et bientôt on le présenta à la famille impériale. Tous ceux qui contactaient Raspoutine notaient qu’il s’en dégageait une aura vraiment magique. Ce paysan sibérien était sans doute un excellent hypnotiseur. Dès la première rencontre avec le couple royal, Grigori prit sur lui un ascendant tout particulier.

Maurice Paléologue, ambassadeur de France en Russie écrivait : « Il les avait complètement subjugués comme sous l’effet d’un charme ». D’ailleurs, il y avait en plus de ce « charme », une raison plus importante qui expliquait l’attachement du tsar et de la tsarine pour Raspoutine : il soignait leur fils, l’héritier du trône Alexis: L’enfant souffrait d’hémophilie (trouble de coagulation sanguine) et la moindre égratignure pouvait lui devenir fatale. Les meilleurs médecins se déclaraient impuissants mais « le starets » parvenait curieusement à arrêter les saignements d’Alexis. « L’héritier vivra tant que je vivrai », suggéra Raspoutine au couple impérial, et il ajouta : « Ma mort sera aussi la vôtre ».

En 1907, Alexis, unique héritier mâle du couple impérial, fait une chute dans les jardins du palais de Tsarskoïe Selo. Alexis a 3 ans. Il soufre d'hémophilie. Il tiendrait cette anomalie de son arrière-grand-mère maternelle, la reine Victoria, qui a tendrement élevé Alexandra, alias «Sunny». La cuisse du tsarévitch enfle affreusement. Les médecins de la cour sont impuissants devant cet hématome gros comme une bombe. On craint pour la vie du prince. Dans son désespoir, la tsarine convoque Raspoutine, qu'elle a rencontré, en audience, avec son mari, deux ans auparavant.

Le vagabond de Dieu arrive au palais vers minuit. Le lendemain, la fièvre de l'enfant a disparu, sa jambe a désenflé, sans que Raspoutine, dit-on, ait pratiqué aucune passe, aucun attouchement. Hypothèse russe : ce saint a opéré un miracle par la puissance surhumaine de ses prières. Hypothèse occidentale : on sait qu'il a fait jeter au feu les remèdes des médecins, parmi lesquels l'aspirine, ce médicament dont la société allemande Bayer a déposé le brevet en 1869. Un anticoagulant qui, comme on sait, favorise les saignements.

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Depuis 1913, après maints pèlerinages qui l'ont conduit au mont Athos ou à Jérusalem, Raspoutine, dans toute la gloire de son noir rayonnement, habite un modeste appartement, 64, rue Gorokhovaïa à Saint-Pétersbourg - non loin du fragile Alexis. Telle est la volonté de l'impératrice. En 1912 Raspoutine a sauvé encore une fois l'enfant, alors qu'après une nouvelle hémorragie il venait de recevoir les derniers sacrements, à Spala, en Pologne orientale. Cette fois, la guérison s'est faite à distance, par un simple télégramme envoyé de Saint-Pétersbourg par l'enchanteur à barbe. Il contenait, pour tout talisman, ces paroles apaisantes teintées de sarcasme pour les docteurs: «La maladie n'est pas aussi grave qu'il semble. Que les médecins ne le fassent pas trop souffrir.»

 

Adoratrices, étudiants pauvres, officiers, hommes d'affaires en mal de piston, mères désireuses d'épargner à leur fils un service militaire au front, 300 visiteurs défilent, chaque jour, dans l'appartement du 64, rue Gorokhovaïa, pour solliciter les faveurs de l'auguste Raspoutine, ce génial parvenu de la pensée magique, qui a l'oreille des plus hautes autorités de l'Etat. Le mage porte au cou une croix d'or, cadeau du tsar, avec laquelle il exorcise les jeunes femmes à riche poitrine. Il a désormais un factotum qui lui tient lieu de secrétaire et de conseiller juridique, un ex-agent de l'Okhrana (la police secrète de l'Empire russe) et une dactylo chargée de noter les pensées du voyant.

Quelques mois avant 1914, le florissant Raspoutine, comme pour se perfectionner et se professionnaliser dans l'art de la manipulation, commence à prendre des leçons d'hypnotisme. Du moine il n'a que l'habit, le Saint-Synode lui ayant refusé l'ordination, deux ans auparavant. Raspoutine n'est pas un prêtre, c'est un starets. 

Qu'est-ce qu'un starets ?, écrit Dostoïevski dans «les Frères Karamazov». Le starets, c'est celui qui absorbe votre âme et votre volonté dans les siennes. Ayant choisi un starets, vous abdiquez votre volonté et vous la lui remettez en toute obéissance, avec une entière résignation.

 

En 1914, quoi de plus révoltant pour la noblesse russe que le côte-à-côte morganatique d'une Allemande et d'un diable, au sommet de l'Etat? Parmi les principaux ennemis de Raspoutine, le grand-duc Nicolas Nikolaïevitch, commandant suprême des armées impériales. Ce généralissime forme même un temps le projet secret de cloîtrer la tsarine, pour l'arracher à la dangereuse propagande irénique de Raspoutine, soupçonné de germanophilie. Faudra-t-il abandonner la souveraineté de la Russie à un traître et un Antéchrist qui s'adonne sans modération au madère, à la danse, aux bains et au libertinage, conformément à sa nature et à son credo ?

Sa nature: la rumeur lui prête un sexe énorme, rumeur démentie par le chirurgien von Breden qui a recousu ses plaies, en 1914, à l'hôpital de Tioumen (Sibérie). La légende prétend même que l'organe fut tranché par ses assassins en 1916. L'histoire retient qu'une chose fut vendue aux enchères, sous cette dénomination, par un certain Michael Augustine, à l'hôtel des ventes Bonhams, à Londres. Il s'agissait, en réalité, d'un concombre de mer.

Son credo: ce faux prophète, qu'on rattache erronément à la secte des Flagellants, prétend détruire le mal par le mal - pécher plus pour se repentir plus. La police espionne ce père de cinq enfants. Sur toutes les marches de son escalier, on trouve des agents qui rendent compte de ses débordements dans des rapports secrets couvrant la période 1913-1916. Un extrait parmi d'autres: 

2 juin : Raspoutine rentra à 10 heures du soir, ivre... Avant de monter chez lui, il envoya la femme du portier chez la masseuse Outina demeurant dans le même immeuble. Comme elle était absente, il essaya d'entrer chez la couturière Katia. N'ayant pas été admis, il commença à importuner, dans l'escalier, la femme du portier...

Raspoutine n'est-il pas la «Russia's greatest love machine», selon la chanson de Boney M.? Parfois la gaudriole dégénère et le lutineur viole, dans la chambre qu'elle occupe au palais, la nurse d'Alexis, favorablement impressionnée par ses pouvoirs thaumaturgiques. Mais l'impératrice ne veut rien savoir de ces forfaits. «Sunny» est folle de son soleil noir. Et la nurse de perdre son emploi, toute Nafissatou Diallo qu'elle est.

Les amis de la princesse

L'impératrice Alexandra idolâtre son saint poilu et peccamineux, son chamanique Chewbacca aux yeux couleur de myosotis, jusqu'à écrire au tsar en 1915, dans une lettre en anglais: «N'oublie pas de te peigner, avant chaque conversation ou décision difficile, avec le petit peigne que t'a donné notre Ami, cela t'aidera.» Le 14 juin, elle signe une autre lettre au fort quotient psychanalytique: «Je t'envoie une canne qui a appartenu à notre Ami... Si tu pouvais l'utiliser de temps en temps, ce serait une bonne chose.»

Etrangère à son empire, la tsarine veut voir en son «Ami» un symbole du peuple russe, dans tout l'éclat de son évangélique simplicité, peuple qu'elle imagine fidèle au tsar et fermé aux manoeuvres de la Douma (le Parlement) pour établir une monarchie constitutionnelle.

Par un mélange de pitié et de mysticisme, cette princesse «folle à la messe», «molle à la fesse», eût dit Rabelais, s'entoure de freaks dont l'imbécillité révélerait un état permanent de visitation divine. Daria Osipova, une demi-folle sujette au syndrome de Gilles de la Tourette, qui prodigue chienneries et obscénités dans ses accès de «transe». Mitia Koliaba, un manchot moitié bègue, moitié muet, qui parfois donne un coup de pied ou de tête sur la table en s'écriant à l'attention du tsar et de la tsarine : «Ah-ah, fu, aïe-aïe, aïe aïe !» Ce qui signifie: «Laissons les Cosaques tuer tous les juifs.» Mitia, fort de ces références, devient conseiller du couple impérial.

 

L’influence de ce paysan inculte à la cour du tsar grandissait d’année en année. Raspoutine prenait des pots-de-vin pour faire du lobbying en faveur des transactions commerciales ou pour aider les fonctionnaires à obtenir des postes convoités. Personne n’osait rien refuser au favori du tsar. Grigori menait cependant un grand train de vie et le tout Pétersbourg faisait des ragots sur ses beuveries et ses parties de débauche avec les femmes de la haute société. Des rumeurs sordides coururent sur les liaisons intimes du « starets » avec la tsarine et ses filles.

Le prestige de la dynastie régnante se dégradait à vue d’œil. Grigori Raspoutine se mêla également de politique, en dissuadant Nicolas II de prendre part aux conflits armés. Ce paysan madré sentait que cela allait mal tourner pour la monarchie. La vie montra qu’il avait raison ! En effet, quand la Russie s’engagea finalement dans la Première guerre mondiale, Raspoutine convainquit le tsar de prendre le commandement de l’armée mais Nicolas II se révéla être un piètre chef militaire. La haine de Raspoutine ne tarda pas à embraser toute la société.

Voulant sauver la famille du tsar de l’influence maléfique du « starets », plusieurs aristocrates décidèrent de tuer Raspoutine. Dans la nuit du 16 au 17 décembre 1916, les conspirateurs l’invitèrent dans la maison du prince Félix Youssoupov. On lui servit des pâtés et du vin empoisonnés mais le puissant poison resta, curieusement, sans effet sur lui ! Alors Youssoupov lui tira dans le dos et Raspoutine s’effondra.

Mais pendant que les . La mort de « l’hypnotiseur » ne sauva pas la monarchie. Deux révolutions ébranlèrent la Russie en 1917, d’abord celle antimonarchique de février suivie de la révolution d’Octobre, qui fit table rase de l’ancien régime. Nicolas II et sa famille furent fusillés par les bolcheviks en 1918. Ainsi s’accomplit pleinement la prédiction de Raspoutine : « Ma mort sera aussi la vôtre ».

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Mais que c'est il passée ce soir là?

Ce qui est certain c'est qu'alors que les conspirateurs se préparaient à se débarrasser du corps, « le cadavre » se ranima soudain, bouscula Youssoupov et se précipita dehors. Les conspirateurs lui fracassèrent le crâne et jetèrent le corps dans les eux glacées de la Neva.

Plus tard l’expertise devait établir  qu’empoisonné, criblé de balles et mutilé, Raspoutine était toujours vivant avant de plonger dans l’eau comme si un pouvoir inconnu tentait de le retenir en ce monde...........

 

 

Revenons  à présent sur le dossier  et écoutons un des  conjurés  présent août 1917

 

Au lendemain de la mort du moujik illuminé, des versions différentes sont publiées dans la presse russe et étrangère. 

Le Figaro se fait l'écho de ces comptes-rendus: Le Roussakaya Volia «rapporte que six personnes participèrent au souper, qui fut le dernier repas de Raspoutine.

 

Ce journal affirme encore que les blessures furent apparemment produites par les armes de différents calibres, ce qui montre que la victime fut visée par plus d'une personne. D'après les flaques de sang trouvées dans le voisinage, on a pu établir que Raspoutine avait tenté de fuir et qu'il avait été abattu par une troisième balle. Ses assaillants lui attachèrent un corps très pesant aux pieds avant de le précipiter dans l'eau en haut du pont Petrovsky.»

Le festin de la mort

Le correspondant du Daily Telegraph à Petrograd donne une autre version de la mort de Raspoutine. «Celui-ci, lorsqu'il fut emmené en automobile, de sa maison à l'habitation de l'avenue Moska, fut rencontré par une bande de jeunes gens dont on connaît les noms. Il est probable, mais on n'en est pas certain, qu'il y eut quelques beuveries. On déclara alors à Raspoutine qu'il était condamné à mort et qu'il devait se tuer avec le revolver qu'on allait lui donner. Il s'empara de l'arme qu'on lui tendait et fit feu sur celui qui la lui avait présentée, le manquant et tuant un chien-loup qui se trouver là par hasard. Le revolver fut arraché à Raspoutine et un très jeune gens l'étendit raide mort sur place.» (Le Figaro du 9 janvier 1917).
Un autre journal l'Oustro Rossii raconte une violente dispute lors du repas: Raspoutine aurait tiré sur l'un des convives et les hôtes se considérant en état de légitime défense l'aurait blessé mortellement (Le Figaro du 18 janvier 1917).

Huit mois après le drame en août 1917, Le Figaro donne alors un récit «écrit presque sous la dictée d'un des personnages qui participèrent à la tragédie». Le texte éclaire le déroulé du dîner et les raisons qui déterminent le meurtre de Raspoutine. Les scènes décrites semblent proches du récit donné par l'un des auteurs du crime dix ans plus tard. En effet, en 1927, le Prince Youssopof publie un livre La fin de Raspoutine, ce livre confession concorde pour la plupart des faits, avec la description rapportée par Le Figaro. Mais, on sait de nos jours que les conjurés ont pu «romancer» leurs déclarations.

Encore aujourd'hui, des doutes subsistent toujours sur l'identité des véritables assassins de Raspoutine. Régulièrement, des historiens émettent de nouvelles hypothèses.

Raconté comme une scène de pièce de théâtre, nous avons choisi de vous livrer le texte dans son intégralité:


Article paru dans Le Figaro du 8 août 1917.

La vérité sur le meurtre de Raspoutine

II n'est sans doute pas trop tard pour en parler encore. Personne n'ignore plus que Raspoutine ait été tué, mais aucun journal, même en Russie, n'a publié la relation exacte et complète des circonstances dans lesquelles le châtiment s'est accompli.Le récit qui va suivre, je l'ai écrit presque sous la dictée d'un des personnages qui participèrent à la tragédie. J'ai toute raison de croire à l'authenticité absolue des détails qu'il m'a fournis, et qui me paraissent constituer le symbole le plus significatif d'une civilisation et d'une mentalité si différentes de la nôtre.

Cela se passe le vendredi 15 décembre (style russe) 1916, vers dix heures du soir, dans le joli petit hôtel du prince Youssoupof. Cinq hommes et une femme sont réunis dans le salon du premier étage. Il y a là le maître de la maison, prince Youssoupof, le grand-duc Dimitri Pavlovitch, le député d'extrême droite Pourichkevitch, le frère du chevalier-garde S… et la célèbre danseuse C…, maîtresse de l'un de ces personnages, arrivée le matin même de Moscou.

- Crois-tu qu'Il viendra? demande le grand-duc Dimitri au prince Youssoupof.

- J'en suis à peu près certain. J'ai promis à l'infâme de lui faire passer une nuit d'orgie incomparableil n'est pas homme à résister à cela.

- Tant, mieux! s'exclame le député Pourichkévitch. Pour l'honneur de notre Tsar et pour l'avenir de notre sainte Russie, il faut que ce misérable disparaisse.

- Si nous n'y mettions bon ordre, il nous jetterait bientôt dans les bras de l'Allemagne ou nous ferait tous exiler, l'Impératrice ne voit que par ses yeux, et le petit père le Tsar a si peu de volonté…

Le Palais Youssopov à Saint-Pétesbourg (ex-Pétrograd): c'est ici que Raspoutine trouva la mort le 29 décembre 1916.

 

L'hôtel du prince Youssoupof, entouré d'un grand jardin, s'étend de la Moskaïa à l'Offitzerskaïa. C'est dans la Moskaïa que donne l'entrée principale, mais il y a, sur l'Offitzerskaïa, un portail de sortie, plus particulièrement réservé aux visites secrètes et aux domestiques à côté d'un petit pavillon où la famille Youssoupof fait vendre le vin célèbre de ses grands vignobles de Crimée. C'est par ce dernier chemin que Raspoutine doit arriver. Il a insisté en effet pour que sa visite à Youssoupof passât inaperçue. Il se sait surveillé, en butte à toutes les critiques, héros des histoires les plus scandaleuses, et il ne veut pas prêter une fois de plus le flanc à la malignité de ses ennemis.

***

Onze heures du soir. Raspoutine est en retard. Les conjurés s'inquiètent. Dans le salon où ils se trouvent, l'obscurité est complète. Il ne faut pas, en effet, que le moine ait le moindre soupçon. S'il apercevait de la lumière à travers les rideaux des grandes fenêtres du premier, il se refuserait certainement à pénétrer dans l'hôtel, car c'est Youssoupof seul- et une dame qui ne doit arriver qu'à minuit- que Raspoutine doit venir voir dans le plus profond mystère. 
Onze heures vingt! Devant la porte de l'Offitzerskaïa, une automobile s'est arrêtée. Un homme en descend, vêtu d'une grande pelisse de renard bleu. Il sonne. Précipitamment, le prince Youssoupof descend ouvrir, car tout le domestique a reçu congé ce soir.

- Entre et n'aie pas peur. Nous sommes seuls…

Dans le vestibule, de l'hôtel, Raspoutine quitte ses galoches. (Il faut noter que nous sommes en plein mois de décembre et qu'une neige épaisse couvre le sol).

- Où me conduis-tu? demande-t-il à son hôte.

- Nous irons dans la salle à manger. C'est encore là où nous aurons le plus de chance d'être tranquilles, répond le prince Youssoupof. Et puis, j'ai fait préparer quelques bonnes bouteilles de chez nous qui nous aideront à attendre la princesse.

Pour accéder à la salle à manger qui se trouve au rez-de-chaussée, il faut descendre trois marches. Sur la table, deux bouteilles de vin rouge. L'une, décantée, renferme une forte dose de cyanure de potassium; la même aimable composition est entrée dans la confection des gâteaux secs, dorés et appétissants, que contient un plat d'argent. Le poison semble infaillible: il a été essayé, en effet, il y a deux heures à peine, sur le magnifique chien-loup de Pourichkevitch; la pauvre bête est tombée foudroyée et son cadavre est encore dans le jardin au pied d'un arbre.

- Veux-tu boire, beau moine? invite le prince Youssoupof dans un sourire, en tendant la bouteille décantée.

Raspoutine a une courte hésitation, puis, négligemment:

- Non merci, répond-il, je n'ai vraiment pas soif.

Raspoutine acquiert vite une réputation de saint homme (starets) et de guérisseur.

 

Les deux hommes se mettent à parler spiritisme, car c'est la marotte de Raspoutine que de se faire passer pour un homme surnaturel qui entretient avec les esprits commerce quotidien. Cependant, à force de converser, c'est Youssoupof qui commence à avoir soif. Il se saisit de l'une des bouteilles, l'inoffensive s'entend, se verse une rasade et, d'un trait, vide son verre.

- Donne-m'en tout de même un peu! dit alors Raspoutine.

La conversation reprend. Le moine, qui a pris goût au vin, ne tarde pas à finir la bouteille. Entre temps, distraitement, il a goûté aux gâteaux secs et, les trouvant sans doute excellents, fait largement honneur à la pâtisserie Youssoupof. Mais il faut boire, avec les gâteaux secs. Dans le feu de l'entretien, Raspoutine oublie toute prudence et c'est lui-même qui, d'un geste décidé, prend la bouteille empoisonnée et se sert.

En face de lui, son hôte, pâle, haletant, le regarde. Pour celui qui a accumulé tant d'infamies, tant de crimes, l'heure de l'expiation a-t-elle enfin sonné?... Mais non! Raspoutine continue à manger sans que le cyanure paraisse l'incommoder le-moins du monde! Alors, Youssoupof est pris d'une violente terreur. Le mysticisme qui sommeille dans toute âme slave prend corps peu a peu. N'est-il pas vraiment surnaturel, celui qui peut impunément absorber le plus redoutable des poisons?Est-ce que Dieu, vraiment, te protégerait? Et, sur un prétexte quelconque, le prince laisse son hôte un instant et, quatre à quatre, monte l'escalier qui conduit au salon.

- Il ne veut pas mourir! chuchote-t-il, angoissé.

-Tu plaisantes, raille un des conjurés. Prends ce revolver et sache t'en servir; tu verras si Raspoutine se moque du plomb aussi impunément que du cyanure!

Youssoupof a repris courage. Il saisit le revolver de la main gauche, le dissimule derrière son dos, redescend, ouvre de la main droite la porte de la salle à manger et aperçoit, le moine qui, très agité, le visage couvert de transpiration, va et vient dans la pièce en poussant des grognements sinistres et en émettant des hoquets formidables.

- Qu'as-tu donc?

- Je me sens très mal, répond Raspoutine, le sourcil froncé. Ton vin est agréable à boire, mais il punit ma gourmandise.

- Ne t'inquiète pas. C'est un malaise passager. N'y pense plus et viens plutôt regarder ce magnifique objet d'art, qui te plaira.

Le prince Youssoupov et sa femme vers 1921.

 

Ce disant, de sa main droite restée libre, Youssoupof montre, un admirable christ d'ivoire sur une console. Raspoutine s'approche. Le rustre affecte de s'y connaître en belles choses. Il a chez lui de splendides icones, dons de grandes dames, ses amies. Les deux hommes, côte à côte, examinent le chef-d'œuvre. Cependant, le prince, tout en se penchant, a pu faire passer son revolver de la main gauche dans la main droite, puis, sans attirer l'attention de Raspoutine, dirige l'arme en plein contre le cœur du «corrompu». Il tire deux fois. Raspoutine s'abat comme une masse. Le meurtrier le tâte, constate qu'il ne porte sur lui aucune arme et court retrouver ses amis.

- Cette fois, il est bien mort

On le félicite, on se félicite. Le grand-duc Dimitri offre d'aller chez lui- il habite tout près de là- chercher son automobile. Elle emportera le cadavre vers la Neva, où les conjurés sont convenus de le précipiter.

***

Dimitri est parti. Sur le palier du premier étage, Youssoupof, Pourichkevitch, le frère du chevalier-garde S… et la danseuse G… se réjouissent sans remords, fiers de cette libération qui va régénérer la Russie, lorsque, brusquement, un pas lourd retentit au rez-de-chaussée.

- On marche en bas! s'écrie Pourichkevitch.

Il se penche sur la rampe. Là, dans le vestibule du rez-de-chaussée, un spectacle horrible s'offre à ses yeux: couvert de sang, d'une pâleur cadavérique, le moine a gravi les trois marches, enfonce péniblement les pieds dans ses galoches, s'agrippe à la porte d'entrée, réussit à l'ouvrir et sort dans le jardin.

Pourichkevitch a gardé tout son sang-froid. Tirant son revolver, il se lance à la poursuite de la victime récalcitrante, cependant que Youssoupof décroche à une panoplie une formidable massue.

Raspoutine se hâte, autant que ses forces le lui permettent, vers le portail qui donne sur l'Offitzerskaïa. Des gouttes de sang, sur la neige du jardin, marquent son passage. Il va atteindre la grille, il l'atteint. À ce moment, trois balles du revolver de Pourichkevitch l'étendent à nouveau sur le sol, et la massue de Youssoupof lui martèle horriblement le crâne. Le front se tuméfie; un œil a sauté de l'orbite. Cette fois, c'est bien la fin.

***

Mais des policiers- le moine ne les avait-il pas lui-même prévenus et invités à demeurer proches?- ont entendu les derniers coups de feu. Ils se présentent à la grille, exigent qu'on leur ouvre. Ils aperçoivent le cadavre, et reculent, épouvantés, en reconnaissant Raspoutine.

- Cet homme a été tué par moi, leur déclare Pourichkevitch, d'une voix calme. Ce n'est pas un crime que j'ai commis, c'est un châtiment que j'ai infligé à un ennemi de la patrie. Voici ma carte, je suis membre de la Douma.

Les policiers se retirent précipitamment, soit qu'ils aient hâte d'aller faire leur rapport à leurs supérieurs, soit que la qualité des meurtriers leur inspire une certaine prudence, soit aussi que les affole l'identité de la victime.

Cinq minutes s'écoulent. Le grand-duc Dimitri Pavlovitch revient. Son automobile est conduite par le docteur Stanislas Stanislawovitch L… ami personnel de Pourichkevitch, qu'il a trouvé précisément chez lui et qui a accepté avec joie sa place dans la conjuration.

Raspoutine et ses trois enfants dans son village natal en Sibérie.

 

Le grand-duc a amené également une de ses ordonnances, le soldat Ivan F… , qui lui est aveuglément dévoué.

On hisse le cadavre dans la voiture où tout le monde prend place. Il est deux heures du matin. Les passants vont croire à quelque promenade de joyeux noctambules. À toute allure, le chauffeur-médecin se dirige vers le pont Potrowsky. Là, entre la deuxième et la troisième arche, on s'arrête. Le corps de Raspoutine est tiré de la voiture par le docteur Stanislas L. et le soldat Ivan F… l'un le tenant par les jambes et l'autre par les épaules. D'un effort, les deux hommes soulèvent Raspoutine, l'appuient contre la balustrade, mais, ô surprise, le moine a encore un dernier sursaut de vie et sa main droite, désespérément, s'accroche à l'épaulette du soldat et trouve assez de vigueur pour la lui arracher. Une dernière poussée. Le corps projeté va s'écraser contre un pilier puis, rebondissant, tombe sur un glaçon de la Neva, hésite, se débat encore, bascule enfin sombre dans les flots.

Justice est faite!

***

Voilà, transcrit aussi fidèlement que possible, le récit que m'a fait l'un des hommes qui ont joué le plus grand rôle dans cette nuit tragique; Il convient de n'y rien ajouter car l'aventure dépasse en pathétique tout ce qu'ont jamais imaginé les plus habiles feuilletonistes.

Qu'il me soit permis de faire remarquer que, contrairement à ce qu'on a pu dire dans certains milieux, le meurtre de Raspoutine n'a pas été le fait d'un parti, le premier acte d'une révolution patiemment organisée. Il est né de l'initiative de quelques hauts personnages de la Cour russe qui, sans préoccupation de doctrine et sans ambition personnelle, ont voulu supprimer brutalement celui qui faisait tant de mal à la patrie et provoquait tant de deuils. Il ne fait aucun doute que les conjurés croyaient demeurer inconnus jusqu'au bout. Ce sont les coups de revolver tirés par Pourichkevitch qui ont révélé la vérité. S'il ne s'était pas trouvé quelques policiers pour les entendre, il est probable qu'aujourd'hui encore une partie de l'opinion publique persisterait à penser que le moine s'est réfugié en quelque mystérieux asile et qu'il reparaîtra bientôt. Mais je puis affirmer de la manière la plus formelle qu'à côté de tant de surprises que nous réserve chaque jour, d'une générosité vraiment inépuisable, la Révolution russe, celle-là ne risque pas de se produire.

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